LE CIRQUE ZINDERO


Manuella et Jeanne, la châtelaine .

Manuella courait à perdre haleine le long du chemin qui menait au château. Elle courait comme si le diable allait la rattraper !
C’était décidé, aujourd’hui elle saurait la vérité !
Il fallait qu’elle en ait le cœur net… il fallait qu’elle sache, il fallait qu’elle ait une conversation avec Jeanne, la châtelaine !
Trop de doutes troublaient son esprit depuis les insinuations de Charles… Que voulait dire le châtelain quand il lui jeta à la figure, d’un air mauvais, que Firmin traînait trop souvent au château ?… qu’il se consolait… ??? Se consoler de quoi ?? …de l’avoir quitté elle, Manuella ?
C’est lui qui avait décidé de leur rupture et il ne semblait nullement le regretter !
Et si… si…il se consolait auprès de Jeanne ? S’il avait renoué une relation avec cette femme ???…cela expliquerait les nombreuses heures passées au château, en l’absence de Charles …Et Charles, blessé et furieux, aurait découvert la trahison… ?
Cette relation qui avait commencé il y a si longtemps… et que Charles avait brisée en chassant Firmin, son propre frère, hors de sa maison, et en épousant Jeanne ! …
Se pourrait-il que Firmin ait recommencé à séduire Jeanne ?… au risque de provoquer de nouveau la colère de Charles, sous son propre toit ??!!…
Non ! Manuella avait peine à croire que Firmin ait osé provoquer une telle situation !
Charles avait pardonné, il avait rappelé son frère auprès de lui…lui avait proposé de monter son chapiteau dans le parc du château, pour le sauver de la faillite…
Firmin ne pouvait pas avoir profité de la confiance de son frère une nouvelle fois !!
Il n’aurait pas pu faire preuve d’une telle ingratitude… ! Toute haine semblait s’être effacée entre les deux frères…ils avaient l’air tellement proches à nouveau …
Manuella, malgré tout l’amour qu’elle portait à Firmin, n’avait jamais pu percer son cœur à jour…Firmin restait un être mystérieux, malgré toutes ces années passées à côté de lui…
Beaucoup de non-dits, de secrets, restaient entre eux…Elle n’en avait jamais été malheureuse car elle comprenait que chacun ait son jardin secret… Firmin avait beaucoup souffert ces quelques dernières années, après l’avalanche de drames qui s’était abattue sur leur vie à tous , et elle comprenait les silences qui s’installaient souvent entre eux…elle respectait ces souffrances non exprimées…car elle l’aimait avant tout !
Manuella , haletante, arrêta quelques instants sa course, pour réfléchir à la tornade de questions qui envahissaient soudain son esprit. Elle s ‘assit, chancelante, sur une pierre du chemin, le menton dans la main, les yeux perdus dans le vague .
Ce qu’elle n’avait jamais pu comprendre, c’est que Firmin mette, tout à coup, fin à leur relation, quelques jours après leur arrivée au château… Sans de raison vraiment valable …
Soi-disant…pour la mémoire de sa femme trop tôt disparue…
" J’t’en fous de sa culpabilité !!!… Ce n’était qu’une excuse comme une autre ! Il y avait autre chose qui trottait dans la tête de Firmin depuis son arrivée au château ! " pensa-t-elle en secouant la tête.
" Un jupon trottait dans sa tête, voilà la vérité vraie !! Firmin était à nouveau envoûté par ses anciennes amours !! "
On dit qu’on n’oublie jamais son premier amour …et bien…c’était ça, le secret que Firmin tenait caché au plus profond de son cœur ! Manuella en était sûre !! Son sixième sens ne la trompait jamais !
Jeanne et Firmin ?? !!… Une douleur profonde ébranla son cœur…Le chagrin, la trahison de l’homme qu ‘elle aimait, la mort de cette homme qui ne pourrait jamais plus lui donner lui-même l’explication… Et si la mort de Firmin était liée à tout ça ???
Ho, non !!!! Tout se mélangeait dans la tête de Manuella, à cet instant… Elle se prit la tête dans les mains et se mit doucement à pleurer. Il fallait qu’elle évacue le poids de toutes les évidences qui venaient soudainement de lui tomber dessus…
Elle se reprit brusquement, en séchant ses larmes et en se relevant.
" Il faut que je sache la vérité ! Je veux l’entendre de sa propre voix !! Foi de Manuella !
Elle va lâcher le morceau, la châtelaine, ou bien je l’étripe !! " s’écria Manuella, tout haut, faisant tinter ses boucles d’oreilles tant elle agitait la tête avec colère !…Ce qui était un très mauvais signe chez la gitane !…
Elle ramassa ses jupes d’une main leste et se mit à attaquer la volée de marches qui menaient fièrement au perron du château.
Arrivée en haut des 70 marches, à peine essoufflée, elle poussa à toute volée la lourde porte du hall d’entrée qu’elle claqua violemment derrière elle .
Le Hall était vide, un silence lourd pesait sur la vieille bâtisse.
La porte du petit salon était entrouverte ; Manuella entra.
" Madame de Vassieu ? "
Jeanne se retourna brusquement sur la tornade qui venait d’entrer.
Sa longue silhouette maigre se tenait debout devant le feu qui brûlait dans la cheminée. Elle se déplaça lentement vers la visiteuse…Elle semblait frêle, pâle dans son tailleur noir. Sa chevelure d’un blond presque cendré encadrait un visage blanc et émacié. Des cernes noirs faisaient ressortir des yeux si pâles, des yeux sans aucun éclat, des yeux rougis par des larmes fraîchement séchées. Elle avait l’air hagard… Elle semblait si fragile qu’on aurait pu craindre qu’un courant d’air ne vienne la briser en mille morceaux comme les bibelots si précieux qui l’entouraient…
" Vous êtes Manuella ! " fit-elle d’une voix à peine audible.
" Je suis très heureuse de vous rencontrer enfin ! J’ai tellement entendue parler de vous… Vous êtes aussi belle que je l’imaginais …Vous avez la beauté sauvage dont parlait à juste titre Firmin ! Asseyons-nous là, près du feu, Manuella ! Nous avons tant de choses à nous dire !… "
Manuella était étonnée par le calme de la jeune femme, par sa fragilité apparente qui cachait en réalité une grande maîtrise de soi, par son accueil si doux, si chaleureux, par cette simplicité et cette franchise qui émanaient d’elle , par cette souffrance qui la broyait d’une façon si évidente et qu’elle tentait de cacher …Manuella était si étonnée qu’elle en avait oublié sa colère et la raison de son intrusion bruyante .
Elle obéit volontiers à la proposition de Jeanne et s’assit dans le canapé moelleux, dévisageant la jeune femme et tentant de comprendre comment celle-ci avait pu dompter si facilement sa fureur ! Le personnage l’intriguait…L’intimidait presque !… Et pour intimider Manuella, il fallait s’y prendre à deux fois !!!
" Madame de Vassieu…Je… "
Sans la laisser parler , Jeanne continua :
" J’allais me servir une tasse de thé…voulez-vous m’accompagner ?
Et tout d’abord, appelez-moi Jeanne !
Je sais pourquoi vous êtes là, Manuella… Si vous n’étiez pas venue, c’est moi qui serait venue à vous ! Vous avez été la compagne de Firmin pendant de longues années et vous êtes en droit de réclamer la vérité …Je vous dois cette vérité maintenant qu’il n’est plus…
Vous avez aimé Firmin aussi fort que j’ai pu l’aimer moi aussi…
Notre amour était indestructible car trop d’évènements anciens nous liaient tous les deux…trop de douleurs …une trop longue absence qui nous a été imposée …un amour que nous avons tenté de rayer de nos vies mais que nous ne pouvions effacer…
Nous étions très jeunes à l’époque… Charles et moi étions fiancés…nous étions promis à un bel avenir …puis Firmin est arrivé…ce fut le coup de foudre entre nous deux ! Nous avons résisté aussi longtemps que nous avons pu…Firmin ne pouvait délibérément prendre la fiancée de son frère et moi, j’avais promis à Charles de l’épouser…Quel dilemme…cet amour qui nous soulevait et qui en même temps nous rongeait…nous avons résisté longtemps, très longtemps, ne voulant ni l’un ni l’autre tomber dans cette impensable situation, cet impossible amour… Nous avons rejeté cet amour de toutes nos forces, tentant d’oublier cette attirance qui nous poussait si fort l’un contre l’autre…Nous avons essayé de nous ignorer, de nous éloigner l’un de l’autre…Mais les deux frères travaillant ensemble, Firmin et moi étions obligés de nous côtoyer tous les jours, sous le même toit…ce fut une torture insoutenable, car les jours passant, notre amour était devenu évident, et croissait de jour en jour …nous ne pouvions plus nier l’évidence ! …et l’inévitable se produisit ! Nous nous sommes retrouvés dans les bras l’un de l’autre…Nous nous sommes cachés au début, puis avons décidé, rongés par la culpabilité, de parler de notre amour à Charles …Bien mal nous en a pris ! Charles est entré dans une violente colère, les deux frères se sont battus presque jusqu’à la mort…Charles a blessé Firmin grièvement…il l’aurait tué si je n’avais fait intervenir les gendarmes qui sont arrivés à temps pour faire transporter Firmin à l’hôpital le plus proche …
Charles ne nous a laissé aucun choix possible ! Quand Firmin est rentré de l’hôpital, il s’est retrouvé purement et simplement à la porte ! Le château appartenait à Charles…Celui-ci donna une forte somme d’argent à Firmin, sa part d’héritage, pour qu’il déguerpisse le plus loin possible. Charles la menacé de le tuer s’il avait seulement l’idée de revenir rôder dans les parages un jour … et de le dénoncer à la police pour une erreur de jeunesse qu’il avait commise quelques années plus tôt…une malversation dans laquelle il s’était retrouvé embringué et dont Charles l’avait sorti … Firmin et moi, n’avons pas eu l’occasion de nous dire adieu …Du jour au lendemain, Firmin avait disparu…sans laisser d’adresse…seulement une lettre, très courte, qu’il avait eu le temps de glisser dans la poche de l’un de mes manteaux qui traînait dans le hall….et qui disait qu’il n’oublierait jamais notre amour, qu’il reviendrait un jour, qu’il faudrait patienter, qu’un jour peut-être lointain, nous nous retrouverions pour vivre notre passion au grand jour…qu’il me le promettait et qu’il fallait y croire …
Charles me faisait peur …Il avait une emprise folle sur moi car j’étais très jeune, beaucoup plus jeune que lui…Il a réussi à me convaincre que Firmin était une erreur de jeunesse, qu’il était un arriviste…Il n’y avait que lui, Charles, qui pouvait me rendre heureuse…que je ne manquerai jamais de rien, surtout pas d’amour, qu’il me pardonnait… que sans lui, j’étais à la rue, sans famille…tant et si bien… qu’il profita de mon innocence et de ma faiblesse pour m’épouser .Un mariage fade, où je passais des journées entières enfermée dans ce château sinistre…où je me mourrais d’amour pour un homme que je ne reverrais sans doute jamais , un homme dont je n’avais plus aucune nouvelle…Le pire étant de ne rien savoir de lui…
Vous connaissez son histoire, vous ,Manuella…Le cirque, sa nouvelle vie là-bas…pendant toutes ces années…loin de moi …et si proche de vous … "
Jeanne, tout le long de son long monologue, laissait couler ses larmes. Elle parlait sur le même ton, presque à voix basse, les yeux dans le vague, le regard hagard…
Le thé refroidissait dans les tasses. L’émotion était si grande qu’aucune gorgée n’aurait pu passer …
Manuella regardait Jeanne avec infiniment de compassion. Elle buvait ses paroles sans l’interrompre…faisant connaissance avec le Firmin " d’avant ", un Firmin qu ‘elle ne connaissait pas , dont elle n’avait jamais entendu l’histoire " d’avant le cirque "…Elle était extrêmement reconnaissante à Jeanne de lui parler ainsi, sans aucune retenue, sans rien lui cacher de leur histoire…Elle ne ressentait aucune jalousie, aucun sentiment de rejet envers cette femme qui se confiait si ouvertement…Elle se mettait à sa place, et elle ressentait au contraire une profonde tristesse …
Manuella, d’un geste de la tête, invita la jeune femme à continuer…
" Quelques semaines après notre mariage, j’appris que j’étais enceinte … de trois mois … Il était évident que l’enfant que j’attendais était de Firmin… "
Manuella sentit son sang ne faire qu’un tour : elle sursauta et regarda fixement Jeanne !.Abasourdie par la nouvelle, elle se passa la main sur le visage pour cacher son émotion ; elle ne voulait surtout pas interrompre la jeune femme !
" Charles ne décolérait pas et me fit vivre une grossesse épouvantable ! Il fut exécrable du début jusqu’à la fin , me traitant comme une moins que rien, me reprochant ce  "  bâtard ", comme il l’appelait, me menaçant tous les jours de " me le faire payer ", me promettant de se débarrasser de cette " chose " dégoûtante qui poussait dans mes entrailles…
Ma grossesse fut un long calvaire semé de peurs , de larmes, de détresse, alors que j’aurais dû attendre cet enfant dans la joie…le fruit de mes amours avec Firmin était devenu un cauchemar…
La naissance fut un drame dont je ne pourrai jamais me remettre…tant que je vivrai, jamais je ne pourrai oublier… "
La voix de Jeanne se brisa… Elle étouffa un long sanglot, qui l’empêcha de continuer son histoire.
Manuella sentit les larmes la submerger… Elle approcha doucement sa main du visage de Jeanne et caressa la joue où les larmes roulaient sans retenue…
" Continuez, Jeanne… ça vous fait du bien de confier ce lourd fardeau, après tant d’années de silence … " fit Manuella en chuchotant.
" La délivrance dura…des heures…j’ai…j’ai souffert …l’enfer…j’ai cru que mon enfant ne survivrait pas …Ch…Charles ne me lâchait pas d’un pouce et …et je sentais son regard de …haine …sur …sur moi…pendant toutes ses heures " hoquetait la jeune femme .
" Quand enfin l’enfant sortit de mon ventre…je n’ai même …même pas pu le serrer contre moi…Charles me l’a arraché des mains…je n’ai eu que le temps de l’apercevoir l’espace d’une seconde…Il …il était …il était si …si beau…si beau, Manuella… "
Jeanne s’effondra de douleur au souvenir du petit être qu’elle n’avait même pas eu le droit de prendre dans ses bras…Ses sanglots redoublèrent de volume.
Manuella lui prit la main sans rien dire et la serra très fort. Elle attendit que Jeanne se calme avant de continuer…
" Charles a pris l’enfant et l’a confié à une infirmière en lui ordonnant de le nettoyer, de le préparer rapidement, parce qu’il devait aller l’emmener à l’assistance publique !
" Cet enfant n’est pas le mien, c’est un bâtard , une malheureuse erreur de jeunesse que je ne saurai garder dans ma maison ! " a-t-il décrété haut et fort , devant le regard offusqué de l’infirmière .
Je suis rentrée au château sans mon bébé…les bras vides…le cœur en miettes… J’ai eu beau supplié, me mettre à genoux, Charles n’a pas cédé : " Tu n’as que ce que tu mérites ! Tu devras payer ce que tu m’as fait subir ! Non seulement tu m’as trahi, mais tu voudrais, en plus, que j’ai toute ma vie ,sous mes yeux , la preuve de ton amour pour un autre , et la récompense de ta faute !!! Je suis bon… mais il y a des limites !! Estime-toi encore heureuse d’être à mes côtés…j’aurais pu te jeter toi aussi ! Le fils de Firmin ne mérite que l’assistance publique ! "
Je n’ai pas pu me remettre de ce traumatisme …Ce vide laissé en moi…ce petit être abandonné par ma faute…l’absence de Firmin qui ne quittait ni mon esprit ni mon cœur, surtout pendant ces moments si douloureux…sans aucun moyen de le prévenir…cette haine diabolique que me faisait subir Charles à chaque instant…c’était trop difficile à supporter…
J’ai tenté de mettre fin à mes jours…malheureusement Charles a tout fait pour que je sois sauvée…et sous haute surveillance…j’ai traîné pendant des années une grave dépression.
Je n’avais plus aucun désir de vivre …Vivre pourquoi, pour qui ??
Les années passaient, je n’avais aucune nouvelle de Firmin … Je ne savais pas ce qu’était devenu mon bébé et n’avais plus aucun espoir de le savoir un jour …Le sujet était plus que tabou…et si je voulais éviter les foudres de mon mari et avoir une vie à peu près supportable, j’avais tout intérêt à éviter ces sujets de conversation.
Oublier ??? Mais comment pouvais-je un jour oublier, ne serait-ce qu’une seconde, ce qui était toute ma vie ???…le drame de ma vie …
Le temps calmant quelque peu les choses…atténuant les douleurs mais ne les pansant pas …la vie avec Charles se bornait à un statu quo…La haine avait fait place à l’indifférence… On se supportait…difficilement, mais on se supportait…Chacun vivait de son côté, chacun à l’autre bout de l’autre : le château est grand, nous vivions chacun dans une aile opposée et évitions le plus possible les contacts entre nous ! Nos échanges se cantonnaient à des mono-syllabes…
Jusqu’au jour où Charles , ivre, a abusé de moi… Il ne m’avait pas touché depuis des années, depuis notre mariage pour ainsi dire …Ce soir-là, je me suis débattue comme une folle, luttant contre le dégoût, pour empêcher ce viol…en vain … C’est ainsi que Julie est née !
Et ça, je ne l’ai pas regretté !…car ce petit bout de chair m’a sauvé !
Julie m’a permis de redonner un but à ma vie…Elle m’a réconcilié avec cette vie dont je voulais disparaître…Grâce à elle, j’ai retrouvé certaines petites joies du quotidien, les sourires, les émotions… Ho, non ! …pas le bonheur…car je ne pouvais pas oublier Firmin…et ne pouvais plus être heureuse sans lui…mais cette petite fille était un soleil ! Elle mettait de la joie dans ce château triste, de l’animation ! Elle me forçait à réagir, à avancer…Elle occupait tout mon temps et m’évitait ainsi de ressasser le passé…
Chose incroyable…elle avait réussi à nous rapprocher un peu, Charles et moi…Nous nous surprenions tous les deux à rire ensemble des facéties de cette enfant…nous échangions des avis sur son éducation…nous retrouvions une certaine complicité, pour elle !
Pour elle, nous avions enterré la hache de guerre !…même si nous continuions à faire chambre à part…
La vie était donc redevenue supportable…
Charles aimait sa fille passionnément…Elle était la " prunelle de ses yeux ", comme il aimait l’appeler…Une immense complicité existait entre le père et la fille !
Puis, Julie a grandi, sans jamais vouloir nous quitter, son père et moi. Elle est restée au château, peut-être parce qu’elle avait l’intuition qu’elle était le lien le plus fort qui existait entre Charles et moi. Elle s’est mariée assez jeune, et son mari est venu vivre au château. Peu après est arrivée Johanne. Une nouvelle joie de vivre dans ce château.
Peut-être que c’est parce qu’il voyait qu’une véritable famille naissait ici et qu’il ne voulait pas la perdre un jour… ? Toujours est-il, qu’un soir, il me confia brusquement :
" Je n’aime pas évoquer le passé…surtout quand il est douloureux…mais je dois te parler d’une décision que j’ai eu beaucoup de mal à prendre !
Julie est grande maintenant…Un jour, elle apprendra forcément l’existence de son demi-frère…et je ne veux pas qu’elle l’apprenne par quelqu’un d’autre que moi ! Je n’ai pas toujours agi correctement dans la vie…Je ne veux pas que ma fille pense que je suis un salaud…Je lui expliquerai , que dans la vie, parfois, on est poussé à faire des erreurs… Le passé est loin… même si j’ai du mal à pardonner… je vieillis…et si je disparais…je veux partir en ayant bonne conscience…
Alors, j’ai pris de bonnes résolutions : j’apprends à Julie qu’elle a un frère et un oncle ! 
Elle est en âge de comprendre, maintenant…et je lui dois la vérité…Elle me pardonnera…


Et du même coup, j’ai décidé de tout raconter à mon frère… je l’ai déjà rencontré. Il a de gros soucis financiers avec son cirque …je profite de la subvention que la région nous octroie pour l’entretien du château, pour lui proposer d’installer le cirque dans le parc du château ! Ainsi , nous augmenterons le nombre d’entrée des visiteurs, en créant une animation originale…
J’ai tendu la main à mon frère…et j’en suis soulagé ! Je ne lui ai pas encore parlé de l’existence de son enfant…chaque chose en son temps…j’attends qu’il soit là.
Il arrive ici dans moins d’un mois…le temps de déménager le chapiteau et de s’organiser…
Voilà ! Il fallait que tu le saches ! "
" Manuella ! Vous rendez-vous compte du choc que j’ai pu ressentir ??? Je n’ai rien laissé paraître de mon émotion à Charles…mais j’ai eu l’impression de recevoir le toit du château sur la tête !!!
Revoir Firmin…après de si longues années… Je ne pouvais même pas me réjouir de le revoir… Allions-nous retomber dans le même piège que par le passé ? Notre amour était toujours impossible, voire dangereux…J’avais peur, Manuella…peur des conséquences inévitables …
Et vous êtes tous arrivés… Le cirque Zindéro a monté son chapiteau !


Dès que nous nous sommes vus, Firmin et moi avons lu dans nos yeux réciproques que la flamme de notre amour passionné ne s’était jamais éteinte… Notre amour était plus fort que jamais…mais il était absolument hors de question que nous reprenions notre relation, là où nous l’avions laissée. Il était impensable de rompre la confiance de Charles une nouvelle fois !
Celui-ci, en nous réunissant, allait nous faire vivre l’enfer ! En se donnant une nouvelle chance de tester notre confiance, il jouait avec le feu ! …il mettait le loup dans la bergerie…mais en même temps, il savait qu’il était le plus fort !
Plan machiavélique ou pas …il savait qu’il nous mettait dans une situation inextricable !
Le drame pointait à l’horizon, si nous sautions le pas et le trahissions une nouvelle fois, alors qu’il nous avait tendu la main…Il nous tenait sous son joug, que nous le voulions ou pas …
L’amour entre Firmin et moi était non seulement impossible, mais absolument défendu sous peine de mort !
D’un commun accord, Firmin et moi avons décidé de laisser notre histoire là où elle s’était terminée quelques années plus tôt…c’est à dire dans le néant le plus complet ! Nous devions oublier notre amour…Nous nous en étions passé pendant tout ce temps…Nous avions pu vivre sans …nous allions continuer à ignorer l’évidence ! Cela valait mieux pour tout le monde ! Nous avons donc décidé de nous rencontrer le moins possible, d’éviter de nous parler , de nous regarder…bref ! Nous devions vivre en parfaits étrangers ! Le contrat avec le cirque, une fois arrivé à échéance, Firmin repartirait avec sa troupe, loin…et tout serait fini !…comme si rien n’avait jamais existé entre nous …
Facile à dire …mais il n’y avait aucun autre choix envisageable !
Nous avons vécu ainsi pendant plusieurs semaines. La tentation était grande, car même en cherchant à nous éviter, nos regards se croisaient quelques fois : le chapiteau était installé sous mes fenêtres, et j’apercevais Firmin toujours dans mon champ de vision !
Les deux frères semblaient avoir retrouvé leur complicité d’antan…enfin, je ne dirai pas complicité…plutôt…leur relation d’avant… Il subsistait toujours une certaine gêne entre eux , mais leur entente restait, nous dirons, " correcte " !
Puis, un jour, tout se gâta !… Le jour où Charles décida d’annoncer à Firmin l’existence de son fils ! Je n’étais pas présente pendant l’entretien, mais je sais que cela s’est très mal passé !
Firmin est devenu comme fou ! Il hurlait de rage, de désespoir…accusait son frère de " crime ", l’injuriait de tous les noms… Il ne lui pardonnerait jamais d’avoir manipulé son destin, de lui avoir caché son fils…pire d’avoir abandonné cet enfant…Ils en sont venus aux mains !…et Firmin lui a fermement fait comprendre qu’il prendrait sa revanche et que désormais sa vie lui appartenait…Charles nous avait séparés, avait brisé notre amour , l’avait chassé comme un criminel et…cela ne suffisant pas, il avait commis le crime de se débarrasser de notre enfant ! Cela, Firmin ne pouvait pas l’accepter ! Il n’avait plus 20 ans et ne se laisserait plus manipuler comme un enfant : il allait décider lui-même de sa vie ! Charles ne méritait pas la femme qu’il avait épousée, il ne l’aimait pas et ne savait pas la rendre heureuse…en conséquence de quoi si j’acceptais sa demande, Firmin ferait sa vie avec moi !
Sur ce, Firmin claqua la porte ! …et fonça me retrouver au château !
Là, ce qui devait se passer, se passa…nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre, après que Firmin m’ait raconté, en détails et en pleurant, la terrible dispute avec Charles …
L’inéluctable devait arriver : je décidais de quitter mon monstre de mari et de suivre Firmin, l’amour de ma vie ! Nous avions été trop longtemps séparés, brisés par un homme qui n’en valait pas la peine…nous avions à reconstruire notre vie et à construire celle de notre fils !
Charles n’y pourrait plus rien : telle était notre décision d’adultes !
Nous avons donc mis Charles devant le fait accompli.
Devant notre décision ferme et irrévocable, alors que nous nous attendions à une réaction furieuse, Charles eut l’air de s’incliner devant nos exigences, sachant qu’il ne pourrait pas nous faire changer d’avis, sachant qu’il ne réussirait pas à nous intimider cette fois-ci !
Il semblait s’attendre à son sort, il semblait s’avouer vaincu…Il demanda seulement à Firmin de terminer son contrat avec le cirque…et de rester encore quelques semaines...
Nous avons accepté le marché, nous avons accepté de garder notre relation secrète jusqu’au départ du cirque .
Firmin et moi, vivions enfin notre passion ! Nous restions discrets, sans montrer notre amour au grand jour, sans le crier sur les toits, mais nous nous étions enfin retrouvés…et rien n’était plus beau ! Je restais au château, et Firmin venait m’y retrouver plusieurs fois par jour, de longues heures…quand Charles faisait en sorte de s’absenter . Entre nous trois, un statu quo s’était instauré, un marché avait été passé…et Charles semblait obtempérer sans trop de difficultés…du moins, il ne laissait rien paraître…
Firmin , après quelques pistes qu’avait bien voulu lui donner Charles, commençait à se mettre à la recherche de son fils.
Mais, Manuella…quand le bonheur est trop beau, quand les choses semblent s’arranger, quand les projets les plus fous sont évoqués…quand la vie est trop belle soudain, quand tout nous sourit… c’est là, que le malheur décide de frapper ! En une minute, tout s’effondre, tout bascule…l’horreur fait son entrée…le cauchemar vous plonge dans la nuit la plus profonde !
Firmin, mon Firmin a été assassiné !!!! Un fou lui a arraché la vie ! On m’a enlevé l’amour de ma vie … on a ôté toute vie en moi …Je ne veux plus vivre…je ne peux plus vivre !
Je veux seulement attendre de savoir qui a pu faire une chose aussi terrible…Si seulement l’enquête pouvait avancer… Voilà, Manuella ! …vous savez tout …Je vous ai tout dit … Ne nous en voulez pas à Firmin et à moi …vous voyez, c’était une histoire d’amour entre nous qui ne datait pas d’hier …nous n’avons même pas pu profiter de quelques semaines de bonheur… "
Jeanne était effondrée…Manuella était abattue par tout ce qu’elle venait d’entendre. Les deux femmes se tenaient enlacées…se consolaient mutuellement…
" Jeanne, finalement j’ai eu plus de chance que vous…j’ai pu profité de l’amour de Firmin plus longtemps que vous … Enfin…quand je parle de l’amour, je devrais dire de la tendresse de Firmin…car je sais qu’il ne s’agissait pas d’amour véritable entre nous …enfin, si, moi je l’aimais Firmin…mais c’était un amour à sens unique …je le sentais bien …Je le sentais bien que son cœur était ailleurs…Il gardait trop de secrets cachés, Firmin… Et je trouve qu’il avait bien de la chance de vous avoir rencontrée…vous êtes une femme bien …vous auriez mérité de vivre ensemble de longues années …Un amour comme ça, ça n’existe qu’une fois dans une vie …mais la vie est injuste …Le temps cicatrisera vos blessures un jour, Jeanne…je vous le promets…vous le méritez…Le malheur ne s’attaque pas toujours aux mêmes personnes…vous verrez…dans quelques temps, vous sourirez à la vie de nouveau …
Il faut vivre pour Julie et Johanne , elles ont besoin de vous … "
Jeanne serra la main de Manuella pour la remercier de ses paroles réconfortantes , mais elle secoua la tête si tristement…
" Au fait , Jeanne…Avez-vous eu un entretien avec l’inspecteur ??? Lui avez-vous parlé des menaces de Charles ??…de votre situation à tous les trois ?? "
" Que voulez-vous dire, Manuella ??? Vous pensez que Charles aurait pu tuer Firmin, c’est ça ??? Non, je ne pense pas que Charles en serait venu à cette solution-là…Il était capable de haïr, de faire du mal…oui, il était capable d’être un monstre …mais il n’aurait jamais été capable d’assassiner quelqu’un, d’en arriver là !…Non, je refuse de croire Charles capable d’une telle violence, d’une telle ignominie ! "
" Vous savez, Jeanne …les crimes passionnels n’arrivent pas que dans les films…
Moi, je serais vous…je me confierais à l’inspecteur…sans accuser Charles…je trouve la mort de Firmin troublante, après tout ce que vous m’avez confié…Peut-être que je me trompe … "

Nicky.

Pierre et Miguel

Miguel avait fini par s’isoler un peu du cirque, il avait besoin de calme pour réfléchir. Il avait longuement marché dans la forêt. Il finit par déboucher sur une route de laquelle il vit un petit village. Il marcha en direction du village. Celui-ci n’était pas bien grand, un petit hameau en quelque sorte, mais il possédait quand même deux bars se faisant face dans l’artère principale.
Miguel rentra dans celui qui se trouvait de son coté de la rue. Il s’assit au comptoir et commanda un demi-pression. Quatre types jouaient à la belote à une table du fond, un autre gaillard lisait l’équipe à la table d’a coté tout en buvant un ballon de rouge. C’est bien le dernier endroit où Miguel aurait pu penser croiser une connaissance. Mais le monde est si petit. Pierre sortit à ce moment des toilettes et se dirigea droit vers le magicien.

" Monsieur Maestro ! Quelle bonne surprise ! " Lança Pierre dans le dos du saltimbanque.
" Je peux vous offrir quelque chose inspecteur ? " Lui répondit-il sans se retourner.
" Comment m’avez-vous reconnu ? " Demanda Pierre quelque peu surpris.
" Votre voix inspecteur ! Je n’oublie jamais une voix ! Un visage parfois ! Les noms souvent ! Mais une voix…jamais ! "
" Je prendrai bien un café ! "
" Comme vous voulez inspecteur ! "
" Et si nous nous asseyons pour discuter un peu Miguel…ou devrais-je plutôt dire Aristo ! "

Les deux hommes avaient rejoint la table jouxtant la vitrine du bistrot, aucun de ses occupants ne pouvait ouïr le moindre mot de leur conversation.

" Je constate que vous avez fait quelques petites recherches inspecteur ! Mais si vous le permettez je préfère Miguel ! Maintenant je m’y suis habitué !"
" Jouons carte sur table Miguel ! Je sais tout de vous, de votre passé, de votre notoriété passée devrais-je même dire. Je connais les moindres lignes de votre existence et donc de la manière dont vous acquis votre fortune ! Qui, il est vrai, est conséquente !"
" Vous voyez que je ne vous avais pas menti sur ce point inspecteur ! "
" Effectivement Miguel ! Mais j’ai bien peur que ce ne soit le seul point sur lequel vous ne m’aillez pas menti ! "
" D’accord inspecteur demandez-moi ce que vous voulez ! Je suis près à coopérer de mon mieux ! Mais malheureusement je ne sais pas grand chose ! "
" J’ai vérifié vos relevés de compte Miguel votre fortune est certes de taille mais vous n’avez pas effectué au cours de ces derniers moi d’achat ou de retrait suffisants pour payer comme vous me l’avez dit Charles de Vassiers pour qu’il engage le cirque Zindéro. N’est ce pas ? "
" C’est exact inspecteur ! Je n’ai pas demandé à Charles d’engager le cirque de Firmin, et je ne l’ai pas non plus bien évidemment payé pour cela ! "
" Pourquoi m’avez-vous menti ? "
" Je connaissais bien Charles avant d’arriver au château. Il m’avait demandé, bien avant la mort de Firmin je tiens à le préciser, de l’affirmer au cas où la question de l’argent se serait posée. "
" Bizarre comme comportement ! Vous ne trouvez pas ? "
" J’ai simplement pensé qu’il ne voulait pas que Firmin croit qu’il cherchait à lui venir en aide après tout ce temps ! Firmin avait sa fierté ! Il n’aurait pas accepter l’aumône de qui que ce soit et encore moins de son frère !"
" Et Ronaldo ? "
" Quoi Ronaldo ? "
" Est-ce bien vous qui l’avez fait embaucher au château ? "
" Je le voulais inspecteur ! Et j’ai cherché à le faire ! J’ai bien demandé à Charles de le prendre à son service. Mais je suis persuadé que Ronaldo n’avait pas vraiment besoin de moi ! Quand j’ai demandé à Charles de l’embaucher, la chose était déjà acquise ! Je pense que même sans mon appuis, il aurait quand même eu ce poste ! Croyez-moi inspecteur !"
" Je vous crois ! J’ai confiance en vous Miguel ! Je sais tout ce que vous avez pu faire pour aider la police dans le passé ! Peut-être même qu’au moment venu j’aurais besoin de vos services ! "
" J’aimerais autant qu’on évite d’en arriver-là inspecteur ! "
" Que craignez-vous ? Ah oui ! Jeff ! "
" Inspecteur ! J’aimerais qu’on évite surtout de parler de certaines choses ! "
" Vous n’avez plus rien à craindre de Jeff, Miguel ! Jeff est mort ! "
" Mort ? "
" Il a eu un accident de voiture dans la semaine qui suivit son évasion !  Et n’allez pas vous inventer des histoires, le corps n’a pas brûlé et était parfaitement identifiable !" Lui affirma le policier.
" J’aimerais quand même qu’on évite d’appeler Aristo à la rescousse !  Aristo n’existe plus, à mes yeux, il n’y a que Miguel !"
" Mais à travers Aristo, Miguel n’aurait-il pas une petite idée de l’identité de l’assassin ? "
" Je suis comme vous inspecteur, j’observe ce qui se passe autour de moi, et… j’ai bien une idée, mais… je ne peux rien prouver ! Comment dire ? C’est comme… une intuition ! "
" Une intuition ? Laquelle ? "
" C’est trop tôt inspecteur ! Je ne peux accuser sans preuve ! Mais… ! "
" Mais… ? "
" Il suffirait juste que son regard tombe dans le mien… "
" Pas d’imprudence Miguel ! Il y a déjà suffisamment de morts comme-ça ! Même si les deux derniers n’étaient qu’un âne et une chèvre ! "
" Ne vous inquiétez pas inspecteur ! Je ne suis pas du genre suicidaire ! Je suis plutôt du genre prudent ! Extrêmement prudent ! "
" Faites quand même attention et faites moi signe si vous avez du nouveau ! "
" Promis inspecteur ! " Lui répondit Miguel tandis que son interlocuteur se levait.
" Au revoir Miguel ! Merci pour votre franchise ! A bientôt !"

Pierre avait laissé Miguel seul devant son demi quasiment vide. Oui, juste un regard pensa encore ce dernier, juste un regard.

Lanédo